Le tabac et la nicotine

Un article du site scienceamusante.net.

1 Le tabac[1]

D’un point de vue général, le terme "tabac" désigne aussi bien la plante cultivée que le produit fini que l’on achète, au tabac du coin justement...

Le plant de tabac appartient au genre botanique Nicotina, nommé par Linné en 1735, de la famille des solanacés. La plante est originaire d’Amérique du Sud et si le genre comporte une cinquantaine d’espèces, celles qui sont actuellement cultivées sont des hybrides issus de sélections : Nicotina tabacum et Nicotina Rustica.

Nicotina tabacum[2]
Nicotina rustica[3]

Le tabac fut utilisé dès les premiers temps de notre ère par des tribus amérindiennes comme en attestent les pipes et les diverses représentations de dieux et de prêtres fumant qui ont put être retrouvées.

Après la découverte des Amériques par Christophe Colomb, l’usage de tabac va rapidement se répandre dans le monde et pour répondre à la forte demande, de nombreuses plantations vont se développer, d’abord aux Antilles, puis en Espagne, au Portugal et en Afrique.

En 1558, la prise de tabac devient très à la mode dans les différentes cours après que Jean Nicot (ambassadeur de France au Portugal) envoya à Catherine de Médicis des échantillons de tabac pour soigner ses enfants.

En 1600, la folie du tabac a gagné toute l’Europe de l’Est puisque qu’on le retrouve en Russie, Inde, Japon, Grèce, Philippines, Indochine...

En parallèle de la généralisation du tabac, la plupart des états instaurèrent rapidement des taxes sur la fabrication et la commercialisation du tabac. C’est ainsi qu’au fil de l’histoire, on retrouve la Compagnie des Indes, la SEIT (Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs) qui deviendra en 1935 la SEITA (qui fusione avec Tabacelera pour donner le groupe Altadis en 1999)[4].

En France, d’un point de vue général, la consommation de tabac n’a fait qu’augmenter depuis son introduction mais, depuis 2002-2003, la tendance tend à s’inverser, notamment en raison de l’application progressive de la loi Evin (interdiction de fumer dans les lieux publics) et de l’augmentation du prix du tabac[5].

Les plants de tabac cultivés actuellement se développent rapidement et les semis, effectués en France début printemps, sont repiqués environ deux mois plus tard, lorsqu’ils mesurent environ 10 cm. Les fleurs sont éliminées lorsque le pied atteint le nombre de feuilles voulu puis les feuilles sont récoltées en été lorsqu’elles commencent à jaunir. On les laisse d’abord se flétrir, sécher puis elles sont rassemblées en botte de 25 feuilles : les manoques. La fermentation des feuilles suit... Les manoques sont rassemblés et retournés régulièrement pendant une durée plus ou moins longue suivant la qualité du tabac souhaitée. Lors de la fermentation, la température dans le tas de manoques peut monter jusqu’à 60°C. Les feuilles s’assouplissent et leur arôme se développe tandis que le taux de nicotine diminue.

Après fermentation, des mélanges de différentes variétés sont faits et les feuilles sont nettoyées de leurs nervures, mouillées et hachées avant d’être torréfiées.

L’ensemble de ces opérations conduit au scaferlatis, le tabac utilisé pour la pipe et les cigarettes. Le tabac à priser est une poudre blanche ayant subi deux fermentations et un lavage. Le tabac à chiquer se présente sous la forme d’une carotte et les cigares sont constitués de lanière de Nicotiana Repanda emballées dans une feuille fine et souple : la cape.

Selon sa provenance, le tabac peut contenir de 0,1 à 2% de son poids sec en nicotine SGH06SGH09, mais les feuilles de la plante peuvent en contenir jusqu’à 5 %.

Les effets psychoactifs du tabac proviennent majoritairement de son principal alcaloïde, la nicotine SGH06SGH09, mais les très nombreuses substances émises lors de sa combustion sont responsables de divers effets sur de nombreux organes du corps humain. La fumée issue de la combustion d’une cigarette contient ainsi plusieurs milliers de constituants, chacun ayant des effets nocifs (souvent même cancérogène) : monoxyde de carbone SGH02SGH04SGH06SGH08, pyrène SGH08, nitrosamines SGH08, naphtalène SGH07SGH08SGH09, formaldéhyde SGH05SGH06SGH08, cadmium SGH08SGH09, nicotine SGH06SGH09[6]...

2 La nicotine

La nicotine SGH06SGH09 est le principal alcaloïde du tabac et, en nomenclature systématique, il s’agit de la (S)-3-(1-méthyl-pyrrolidin-2-yl)-pyridine.

À la fin du XVIIe siècle, une méthode de production d’une huile toxique tirée du tabac fut mise au point et en 1752 Brogiani montra son caractère létal pour les animaux. Vauquelin montra la présence de nicotine dans cette huile en 1809, mais ce sera W. Posselt et L. Reinmann qui isoleront la nicotine en 1823 et lui donneront son nom. Sa structure fut élucidée en 1893 par A. Pinner et F. Blau et sa synthèse réalisée pour la première fois par A. Pictet en 1913 après huit années de travail.

La nicotine est un poison violent, facilement absorbé par les muqueuses et mortel à des doses de quelques milligrammes.

Elle possède une double action stimulante et sédative selon la dose administrée. Elle stimule dans un premier temps la libération d’adrénaline se traduisant par une accélération cardiaque, respiratoire et une augmentation de la pression artérielle. Dans un second temps, elle provoque une bradycardie. Elle provoque de plus une libération de dopamine dans le système de récompense du cerveau, probablement responsable du plaisir ressenti lors de l’usage du tabac.

À haute dose, la nicotine agit comme curarisant, bloquant la contraction des muscles pouvant entraîner une dépression respiratoire.

L’usage chronique du tabac conduit à une forte dépendant physique et surtout psychologique difficile à soigner. Et même si des traitements de substitution de la nicotine existent (gomme à mâcher, patchs...), c’est souvent le rituel de la cigarette ainsi que son aspect sociabilisant que les ex-fumeurs ont le plus de mal à oublier.

D’un point de vue purement chimique, il est intéressant de noter que la (–)-(S)-nicotine naturelle possède globalement les mêmes effets que son analogue synthétique, la (+)-(R)-nicotine, un fait rare dans le domaine des énantiomères. Cependant, la puissance de ces effets peut varier d’un énantiomère à l’autre[7].

(–)-(S)-Nicotine
(+)-(R)-Nicotine

Notons que la dose de nicotine contenue dans un demi-cigare (entre 50 et 100 mg) est suffisante pour être létale chez un homme si celle-ci est ingérée. En revanche, lorsque ce même cigare est fumé, la chaleur du foyer détruit une grande partie de la nicotine et seule une faible dose parvient alors aux poumons (mais encore suffisante pour induire l’ensemble des manifestations physiologiques explicités ci-dessus).

Pour l’anecdote, lorsque la chasse des crocodiles était encore légale, certains chasseurs employant de la nicotine pour tuer l’animal (par fléchette empoisonnée) sans abîmer la peau...

3 Extraction de la nicotine

Il est possible de trouver sur internet deux modes opératoires d’extraction de la nicotine, réalisables facilement dans un laboratoire.

Le premier consiste à placer le tabac dans une solution aqueuse concentré d’hydroxyde de sodium SGH05 puis à extraire la nicotine à l’aide de dichlorométhane SGH08. Cependant, le solvant organique extrait également d’autres composés du tabac telles les substances colorées. La nicotine obtenue par cette méthode est donc loin d’être pure.

Le second mode opératoire, détaillé ici, consiste à extraire la nicotine par entraînement à la vapeur d'eau (EVE). La nicotine ainsi obtenue est généralement pure à environ 95 %.

3.1 Précautions

Outre les précautions en chimie qui sont d'usage, cette expérience comporte les attentions suivantes :

  • En raison de l'extrême toxicité de la nicotine SGH06SGH09, toutes les mesures de sécurité devront être prises. Le travail sera effectué en permanence sous une hotte en bon état de marche, en portant des gants, une blouse et des lunettes de protection.
  • En fin de manipulation, lorsque la nicotine est obtenue sous la forme d’une huile, on portera la plus grande attention à ne pas en respirer les vapeurs. En cas de contact ou d'ingestion accidentelle, appeler immédiatement les urgences et leur préciser la substance.

3.2 Mode opératoire

  • Assembler le montage d’entraînement à la vapeur d'eau (EVE) suivant :
Nicotine entrainement vapeu d'eau.gif
  • Dans le ballon générateur de vapeur de 250 mL, placer environ 150 mL d’eau distillée.
  • Dans le ballon de distillation, placer 5 g de tabac et 50 mL d’une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium SGH05 à 30% (lessive de soude).
Tabac seul.
Tabac mélangé à la solution de NaOH.
  • Le montage est ensuite assemblé, le ballon générateur de vapeur est porté à forte ébullition pour assurer un débit de vapeur suffisant dans le ballon de distillation. Ce dernier peut éventuellement être chauffé afin d'éviter à la vapeur de s'y condenser.
  • La distillation est poursuivie de façon à recueillir environ 75 mL de distillat. Contrairement à d’autres distillations par entraînement à la vapeur, on n’obtient qu’une seule phase puisque la nicotine est soluble dans l’eau.
  • Le distillat jaune est placé dans une ampoule à décanter et la nicotine est extraite par 3 portions successives de 20 mL de dichlorométhane SGH08. La phase organique se colore en jaune tandis que la phase aqueuse devient incolore, preuve que la nicotine se dissout bien dans le solvant organique.
Distillat.
Après extraction par le dichlorométhane.
Nicotine quasi-pure (huile jaune).

3.3 Identification

La résonance magnétique nucléaire (RMN) du proton (1H) permet d'identifier la nicotine extraite :

3.4 Quelques explications

  • L’entraînement à la vapeur d'eau (EVE), ou hydrodistillation, est une technique employée depuis plusieurs siècles pour extraire certains composés présents dans les plantes, notamment les huiles essentielles.
    • Elle repose sur le fait que certains composés peuvent être entraînés par de la vapeur d’eau et co-distillés avec elle à une température inférieure ou voisine de 100°C.
    • Le refroidissement des vapeurs entraîne la démixtion du mélange : l’eau et les composés extraits se séparent. Le type de montage utilisé ici permet de réaliser l’extraction de la nicotine par hydrodistillation avec génération de la vapeur d’eau ex-situ.
    • Le tube droit plongeant dans l’eau du premier ballon permet d’assurer un équilibrage de pression en empêchant le contenu du deuxième ballon d’être aspiré dans le premier ballon lors d’un refroidissement de celui-ci.
    • De façon à limiter les pertes de chaleur, il peut être utile d’entourer les ballons, le tube de transfert de vapeur et la colonne de Vigreux par du papier d’aluminium.
  • Dans notre cas, la nicotine, en raison de sa grande solubilité dans l’eau, ne se sépare pas en couche huileuse surnageante comme c’est classiquement le cas avec les huiles essentielles (eugénol du clou de girofle par exemple).
  • La nicotine obtenue après évaporation complète du solvant organique présente une pureté tout à fait satisfaisante comme le montre son spectre RMN-1H.
  • Pour limiter sa dégradation, la nicotine peut être conservée en flacon hermétiquement fermé, au congélateur, si possible sous atmosphère inerte (diazote ou argon).

3.5 Références

  1. Dictionnaire encyclopédique des drogues, D. Pol, 2002, Ellipses
  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicotiana_tabacum
  3. http://es.wikipedia.org/wiki/Nicotiana_rustica
  4. http://site.voila.fr/pointer/tabac.htm
  5. http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?tab_id=214
  6. Guide pratique de toxicologie, F. X. Reichl, traduit de la 2e édition allemande par P. Perraud et E. Krahe, 2004, DeBoeck
  7. D. Yildiz ; Toxicon, 43, 619 (2004)
Merci à William Erb pour cette contribution.